L'image de soi - Trois de la Terre

Par Mari-Mai CORBEL - REVUE MOUVEMENT - 2003

Au Centre d'Art et Essai de Mont-Saint-Aignan, grâce à une résidence d'écriture, Francisco Moura poursuit un travail de longue haleine sur les rapports du spectateur à l'image et à l'aura de l'acteur. Il y a présenté, du 5 au 8 mars, le second volet d'une trilogie inspirée de Walter Benjamin.

Francisco Moura est un artiste de la modernité, si la modernité pour un artiste se définit comme la réflexion sur son art.

Une attitude qui l'inscrit dans la lignée de ceux qui, au théâtre, pensent par eux-mêmes et refondent l'identité théâtrale. Ainsi forme-t-il les acteurs Lise Solar et Mickael Chouquet. Cette attitude le porta vers Walter Benjamin, philosophe ami de Brecht, qui eut une manière sensible de penser l'engagement du corps dans l'Histoire et de prévoir la révolution de l'image sous l'angle de l'altération de l'aura et de la transformation des perceptions.

Elle permit au metteur en scène de confronter le théâtre à sa contemporanéité. Francisco Moura vient au théâtre dans les années 1970, en réaction au régime de la dictature brésilienne. Le théâtre lui apparut une cité atopique, lieu de vérité et agora. Dans le monde actuel, l'image envahit, pressurise mentalement, elle a ses empires. C'est à une déréalisation de la réalité, selon Heiner Müller, cadet d'une génération de Walter Benjamin, que les technologies ont abouti. L'image masque l'objet ou l'autre - l'humain mutatis mutandis fait objet. Le visible se mortifie en décorum, ersatz, cinéma ou mauvais théâtre.

Francisco Moura titre le premier volet de sa trilogie Sous le regard de Walter Benjamin : Angelus Novus (1) - La haine du théâtre ou la barbarie positive. Comment se libérer de la chosification machinique ? Rester soi avec (sans exclure) l'image ? Dans son travail, les images sont des protagonistes avec les acteurs. Le premier volet fut représenté au Théâtre de la Cité Internationale dans le cadre de Scènes Ouvertes à l'Insolite en juin 2002.

Le second volet est un work in progress. De Trois de la Terre, de Djuna Barnes (2), pièce à teneur faustienne que Francisco Moura a eu le projet de mettre en scène, il subsiste une atmosphère , automnale, un lampadaire, un costume 1900. Francisco Moura décida de plutôt écrire ce qu'il désirait dire avec Trois de la Terre. Il demanda à Lise Solar, aussi plasticienne et diplômée d'histoire de l'art, de s'en inspirer pour une iconographie.

Elle conçut une remarquable série photographique sur la faiblesse et la fragilité. Sur l'une, elle est Djuna Barnes en chapeau cloche. Sur une autre, la chevelure est rasée d'un côté et la nuque fléchie supporte un poussin mécanique. À partir de cet univers imagé, Francisco Moura met en scène un texte à consonance autobiographique.

Le thème est « être contemporain à soi ». Un idéal au théâtre. L'acteur en contamine le spectateur, le délivre des hallucinations, ils se rejoignent dans un instant tragique, réel. Le drame : l'étrangeté au monde que révèle l'exil intérieur et temporel. L'image (ou le rôle) transporte dans un ailleurs, passé ou futur. Première scène : une vidéo de Lise Solar est projetée, ses lèvres bougent, elle lit, le son est coupé. Par transparence, derrière l'écran, les deux acteurs sont de frêles silhouettes bleutées. Ils questionnent le spectateur. Vient-il rêver ? Se réveiller ? Comment vivre dans une relative tranquillité, aller au théâtre, quand au loin, tortures, guerres, et ici, en France, violences, misère, sont réduites aussi à des images.

Si « l'arrogance de parler » porte en elle de l'anarchie, « l'arrogance du silence » est complice. Parler est légitime. Le centre de la scène est déserté au profit de sa périphérie tel le centre de l'esprit chez un sujet exilé dans sa pensée. Les comédiens passent avec un micro dans les gradins, leur image est projetée, ils sont à une coudée, lointains tels de petites stars.

Le texte, dense, souple, se concentre sur l'ici, le dire de l'engagement théâtral. Des phrases inachevées une fois l'essentiel dit, des compléments éludés. Le souvenir d'une blessure d'enfance. Des musiques : La Bohème d'Aznavour ou dans un autre registre, Vivaldi chanté par Cécilia Bartoli, évoquent l'éternité dans l'amour. Des vociférations de supporters en contrepoint. Les acteurs reviennent au centre, puis s'allongent, élèvent leurs jambes entre lesquelles des bouquets poussent. Le détour par l'image les a rendus proches. Ne dites pas que je n'ai pas parlé de fleurs s'écrit à l'écran.

Avec une poétique du théâtre d'ombres, une maîtrise des rythmes scéniques et une direction d'acteur fondée sur l'intelligence de l'émotivité, Francisco Moura explore le rapport du spectateur à l'image et à l'aura de l'acteur. Il prépare à une rencontre surprenante : celle de soi. À la fin, chaque spectateur se voit à l'écran sur une image numérique arrêtée, petit sujet absent, passionné.


(1) Angelus novus est le titre du tableau de Paul Klee que Walter Benjamin chérissait entre tous en tant qu'il contenait l'anagramme de son nom secret.
(2) (1892-1982) Auteure au symbolisme novateur, amie de Gertrude Stein, traduite par Pierre Leyris en France

Ce document provient du site mouvement.net

Auf der Suche
La quête ...

Francisco Moura met en scène ,,Der perfekte Ton"

Par Tim Gorbauch — Wiesbadener Kurier 2005

[...] Il semble que l'éternel objectif d'un compositeur est de trouver le "Ton Parfait".
Tout comme pour le peintre serait le "Trait Parfait" et pour le danseur "Le Geste Parfait". Il est clair que cette nostalgie de perfection doit continuer à exister comme Utopie — car dans le cas contraire se serait la fin de l'Art. Francisco Moura a aussi intitulé son Théâtre de Mouvement à partir de la musique de Mauricio Kagel : "Der Perfekte Ton". Mais il ne tentera pas de tirer la perfection du chapeau. Son spectacle ne prétend pas être une oeuvre achevée, ni fermée, il n'aspire pas le "opus perfectum et absolutum" prôné au Moyen Age comme si l'Art pouvait tout à coup être conclue. Bien au contraire, le spectacle de Francisco Moura est avant tout, une quête, une Expérience ou Expérimentation, où les questions sont plus importantes que le réponses. C'est un Essai, un dialogue entre la Musique et d'autres formes artistiques : Mouvement, Langage, Pantomime (théâtre) "Der perfekte Ton" , comme nous dit Francisco Moura, n'est pas un but, ni un résultat, mais le processus comme « le devenir de toute oeuvre ». Le Perfekte Ton n'est pas une fin en soi, mais le début, le germe d'une époque en devenir. Ainsi le Ton Parfait est lui même une Utopie. Trois jeunes musiciennes, Ana Golovin (piano) Valérie Hoffmann (violoncelle) Sophie Müller (violon) et trois comédiens sont sur scène. Il n'y a pas une histoire proprement dit, mais simplement des moments, instants de situations scéniques sans début et sans fin définis, seulement des suggestions sans jamais recourir à la facilité !


Une très bonne chorégraphie, utilisant et jouant avec des objets ludiques et aussi de la vidéo. Sans excès de textes mais avec beaucoup de questions, exprimées parfois dans leur démesure même, tel : ça sert à quoi l'Art ? Il est très beau quand à travers le mouvement, les comédiens se laissent habiter par la musique en restant dans l'espace sans d'autre artifice que leur présence. Francisco Moura nous permet à tout instant de sentir ces mouvements, ces instants surprenants que dans sa quête l'ont aussi surpris et dont il nous parle avec tant de sympathie, de franchise et avec tant de bonheur. Naturellement il ne nous aide pas à trouver un sens précis à la musique de Kagel, mais justement c'est cela qu'il ne veut surtout pas faire et c'est bien ! Comme il nous dit, ce qu'il veut c'est seulement "ouvrir le sens" et cela est déjà largement difficile.

Dans l'arène des sentiments niés

par Norberto Modena

[...]La mise en scène de qualité, la scénographie et les costumes sont signés par Francisco Moura qui a opté pour un montage totalement théâtral en ce qui concerne l'action scénique et l'interprétation des chanteurs, qui a fonctionné parfaitement dans le déroulement de l'Opéra. Dans la première partie du spectacle chaque scène présentait une innovation, encore que dans la seconde partie ces mêmes innovations se répétaient donnant une sensation de « déjà vu » voulu par la mise en scène, dû à l'option d'une scène unique dépouillée et en forme d'arène. Les costumes étaient contemporains, neuters portant néanmoins des détails référentiels pour meilleur exprimer l'identité des personnages.

,,Der perfekte Ton"

Critique - Wiesbadener Tagblatt — mai 2005


Allen Beteiligten ist wichtig, dem Publikum Bilder zu vermitteln, die es in seine eigene Welt übersetzt. Alles was das Theater zu bieten hat, wird zusammen gebracht.


Il est important de procurer à tous les participants, des images que le public puisse traduire "dans son propre monde".
Dans "Der Perfekt Ton", tout ce que le théâtre a à offrir, y est rassemblé.


Wenn Klaviere zurückschlagen

Si le piano poussait en retour

Par Achim Heidenreich — Frankfurter Allgemeine Zeitung

[...] A Wiesbaden, Francisco Moura dans son spectacle, utilise aussi les nouveaux médias intelligemment et avec
beaucoup de charme, à travers la vidéo projection en directe sur le corps de l'acteur comme sur un écran. Comme dans
la scène où le modelage d'une tête en argile est projetée directement sur le visage du comédien. Ou alors comme quand
le piano prend vie et souhaite revenir sur scène. Un spectacle autant pour les enfants que pour les adultes qui gardent en
eux quelque chose de l'enfant qu'ils ont été. Tous pourront savourer ces moments de théâtre et musique très ludiques qui
nous font penser au cinéma muet.

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L'Avant - Scène Théâtre

par Floriane Gaber et Michel Delon

coups de coeur

Faire du Marin de Pessoa, ce texte à la lisière du poème, un spectacle de théâtre, voilà qui relève du défi, surtout lorsque la mise en scène se veut distanciée ! Francisco Moura a sans aucun doute des idées lumineuses sur la question et une force dans l'imaginaire peu commune. Il sait aussi tirer du potentiel vocal des comédiennes qu'il embarque dans l'aventure, des sonorités incroyables. Pourquoi la distanciation reste-t-elle dans la gorge du spectateur fasciné par les moments ludiques, où les trois personnages se prennent aux filets du conte et « s'exportent» du poème aux interprètes ?

Culture

par Sérgio C. ANDRADE

(...)Le terme “regia” (direction musicale) est le plus approprié pour décrire la méthode de travail de ce jeune metteur en scène brésilien, résidant à Paris. (...) méthode originale de travail, où les indications de mise en scène sont données avec le geste plutôt que la parole (...) la méthode de Francisco Moura est vue par les comédiens comme le moyen idéal de mener “le fascinant défi” que constitue la “théâtralisation” du texte de Pessoa. Dans la mise en scène du Marin, c'est l'acteur qui est au centre du spectacle dans un style non réaliste, influencé par la danse, sur une scène complètement dépouillée.


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Actualités Théâtrales de Paris

par Agnieszka KUMOR

“...Oncle Vania, de Tchekhov dans la mise en scène du Brésilien Francisco Moura : une idée simple et originale. (...) chaque acteur présente une personnalité captivante, et les personnages rayonnent de tendresse profondément humaine, de générosité, mais aussi de malice, d'ingéniosité.”

Les Saisons de la Danse - Qui du verbe ou de la chair... ? - Par Floriane Gaber

Angelus Novus, le tableau de Klee décrit par Benjamin, donne son titre à ce spectacle exigeant, tant pour ses interprètes que pour le spectateur. L'ange démoniaque de la modernité y est au centre du propos tissé par les textes de Meyerhold, Brecht, Craig, Appia et Kleist. Dans une société en pleine évolution technologique, où et comment l'acteur peut il se situer? Le monde en guerre inspira, au début du siècle, la notion de « supermarionnette », centrée sur la matérialité du corps et du texte dans un espace épuré et structuré. Face à l'hypermédiatisation galopante, la question est reposée aujourd'hui par la jeune équipe de l'Allegro Théâtre, que dirige le metteur en scène brésilien Francisco Moura.

Ses acteurs, dont deux ont été formés par ses soins selon les principes rigoureux des maîtres référencés ci dessus, interrogent la naissance et l'essence même du jeu. S'agit il avant tout de parler ou au contraire de travailler, en conscience, le mouvement, l'appréhension de l'espace ? Les textes théoriques, dont toute poésie n'est pas absente, soutiennent de façon parfois ludique - l'épanouissement des thèmes habilement enchaînés. Il s'agit là d'un spectacle maquette-manifeste; une esquisse dont le développement questionnera davantage le rapport de l'acteur à l'image médiatisée, si présente sur les scènes contemporaines. Mais impossible, dès à présent, de passer sous silence ce travail dont le sérieux incontestable est le meilleur garant des promesses qu'il aura à tenir.

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Radio France Internationale

par Agnieszka KUMOR

Actualités Théâtrales diffusion le 30.05.2001

Le spectacle "Angelus Novus", présenté dans le centre d'art et d'essai de Mont-Saint-Aignan, à Rouen, n'est pas une réalisation d'une pièce de théâtre, ni l'adaptation d'un roman. Ce happening théâtral particulier, à la forme très rigoureuse, est centré autour des textes de Walter Benjamin, consacrés au théâtre et à sa confrontation avec le cinéma, un moyen d'expression nouveau à l'époque. Du cinéma est née la civilisation contemporaine des médias, d'où le questionnement du metteur en scène: si nous pouvons manipuler l'image à notre guise, où est la place de la poésie et de l'illusion théâtrale, où est la place de l'acteur vivant? Francisco Moura rejoint une longue discussion jamais aboutie sur le paradoxe de l'acteur. Trois interprètes, la vidéo et la simulation sur ordinateur, voici la distribution du spectacle "Angelus Novus".

Qu'est-ce que cela a de commun avec le théâtre, me dira-t-on? C'est justement le propos du spectacle, qui reste un événement de théâtre, malgré les moyens audiovisuels dont il se sert. Tel un véritable "avocat du diable", le metteur en scène semble détruire la théâtralité de son spectacle. Avec l'acteur vivant, présent sur scène, rivalise l'image de sa main, de son visage, du dos qu'on observe sur l'écran de télévision à l'intermédiaire de la caméra, placée sur scène.
Un contraste particulier surgit de la confrontation entre le texte "théorique", émis par les acteurs ou "mitraillé" par l'ordinateur sur un grand écran cinématographique, et les actions. Un chapitre plus "classique" - le spectacle vivant - succède à cette lutte des deux matières. Reviennent les souvenirs d'enfance, les acteurs deviennent des marionnettes ou des figures des films muets, à pas risiblement accélérés. Enfin, le public descend sur scène, invité par les acteurs; nous nous asseyons par petits groupes, les acteurs s'arrêtent pour nous conter à l'oreille une histoire, un fragment du texte de Benjamin, une phrase lue dans un livre d'enfant, un fragment de poème.
De la tentation de nier le théâtre par les biais de la nouvelle technologie, nous arrivons à une forme la plus intime du théâtre (où, à la fois, résident ses sources) - une histoire racontée par quelqu'un à quelqu'un d'autre. Où que nous soyons, en Afrique, en Europe, en Asie, les gens se transmettent le fruit de leur imagination - le théâtre primitif naît.

Ne vous méprenez pas: "Angelus Novus" n'est pas un débat théorique avec le matériel audiovisuel à l'appui. Loin de là! L'image projetée, la parole énoncée, tout cela remue dans l'imagination du spectateur des connotations, les associations intimes, suscite les souvenirs d'enfance, propose les significations inattendues. "Le théâtre est une histoire contée, semble dire Francisco Moura. L'imagination du spectateur est une scène, nous, les gens de théâtre, nous devons la féconder. De quels moyens allons-nous nous servir? C'est notre doux secret..."

Original, déjouant les qualifications, énormément riche d'un point de vue des sens contenus, le spectacle "Angelus Novus", dans la mise en scène de Francisco Moura, a été présenté dans le centre d'art et d'essai, de Mont-Saint-Aignan.

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